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MOBILITÉ & CHANGEMENTS CLIMATIQUES;
Une question de planification urbaine _
par Karine Spérano

Face aux changements climatiques, à l’augmentation de la population mondiale de même qu’à la mobilité croissante des personnes et des biens, la ville contemporaine fait face à de multiples défis et doit impérativement se réinventer.  Ainsi, le rôle du designer urbain et aussi, la planification des villes revêtent une importance primordiale.  Cet essai traitera de la nécessité pour la ville d’offrir une gamme de transport durable mieux structuré.  Il questionnera les politiques de planification des villes ainsi que le rôle et l’implication des designers urbains.  Dans un premier temps, je situerai la problématique du transport en relation avec des enjeux de nature démographique, sociale, environnementale et économique. Dans un deuxième temps, j’énoncerai les divers éléments influençant la transformation et la planification des villes en matière de transport.  J’exposerai l’importance d’une saine gestion des villes afin d’arriver à combattre les effets négatifs de celles-ci, et ce, à travers l’étude d’un cas, soit celui de la ville de Lyon en France.  De plus, je circonscrirai la notion de « mobilité urbaine ».  Dans un troisième temps, je ferai état des outils d’analyse utilisés pour la planification des villes.  En conclusion, je dresserai quelques pistes de réflexions et de solutions possibles.


Avant tout, il est important de situer cette problématique de transport et de circulation dans le contexte particulier de croissance constante de la population mondiale.  En fait, certaines prévisions font état d’une augmentation d’environ 2,7 milliards de personnes d’ici 2025 et de nombre, environ 90 pour cent seront des citadins. (Harcourt, 1999) En somme, ce phénomène d’urbanisation rapide ainsi que la gestion et la planification des métropoles est, sans contredit, un enjeu primordial en ce qui a trait à la réduction des impacts environnementaux.  Actuellement, la lutte aux changements climatiques se fait à une échelle globale et est figée dans un discours diplomatique. Nombre de pays se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre par l’application de différentes interventions, et ce, selon des échéances prédéfinies, mais, dans les faits, bien d’autres priorités régissent les actions des gouvernements.  Devant l’échec, notamment de l’accord de Kyoto, la gestion des métropoles pourrait bien être la clé de la réussite en matière de développement durable.  Bien que les villes soient perçues comme un vecteur de plusieurs problématiques environnementales, elles peuvent aussi être le moteur de solutions durables.   En effet, les objectifs qui sous-tendent la gestion des villes sont bien différents des motivations observées à l’échelle des pays.  Pour les métropoles, le principal enjeu est celui du bien-être et la qualité de vie des citoyens de même que la paix sociale.  Dans ce contexte, la gestion écologique du territoire des villes n’est pas uniquement un enjeu environnemental, mais plutôt un enjeu économique important qui est assurément porteur de répercussions positives. 


D’abord, une réelle compétition existe dorénavant entre les villes.  Sans conteste, la mondialisation, l’avènement des technologies de l’information ainsi que la prise de décisions en fonction du marché sont à la source de cette nouvelle réalité.  Pour se démarquer, elles doivent offrir un milieu de vie bien gérer, productif et offrant une meilleure qualité de vie aux habitants, sans quoi la métropole pourrait observer un exode des entreprises vers un milieu urbain plus propice aux affaires.  De plus, la diminution de la pollution représente aussi un enjeu de santé publique et donc, économique, incontournable.  En fait, la pollution atmosphérique est la cause de plusieurs décès annuellement et cette pollution occasionne des coûts en santé sont de l’ordre de 10 % des revenus des grandes villes.  Clairement, des mesures ciblées implantées avec un coût relativement moyen peuvent réduire considérablement les coûts économiques, environnementaux et sociaux engendrés par la pollution des villes. 


Conséquemment, les changements climatiques peuvent et doivent être substantiellement réduits au niveau municipal.  Les politiques qui touchent le développement des villes, assure un changement plus rapide et concret que toutes réformes établissent à l’échelle nationale. (Hale, 2011) Ainsi, la croissance économique efficace, le bénéfice social et l’amélioration environnementale doivent être optimisé à travers une planification efficace et interreliée des divers modes de transports est une partie importante de la réponse à ce fléau. 


Afin d’introduire un changement dans les modes de déplacement urbain, différents potentiels de changements doivent être identifiés et approches innovantes de travail doivent être mises de l’avant. D’emblée, la capacité de changement est indéniablement reliée à la problématique de la saturation du réseau routier et en conséquence, une réduction de l’utilisation de la voiture doit être envisagée.  Dans son texte, New approaches to strategic urban transport assessment, Hale explique qu’une planification efficiente des transports en commun, représentent un moyen appréciable afin de réduire l’utilisation de la voiture et par le fait même, la congestion observée dans les villes.  Les questions de temps de déplacement, de la vitesse du système, de la notion d’accessibilité, de l’évaluation de la performance et de la planification des projets sont aussi au cœur des potentiels de changement identifiés par l’auteur. 


En ce sens, il est important de noter que plusieurs éléments ont mené à une nouvelle définition de la problématique du transport et de la circulation.  Effectivement, au cours des dernières années, le concept de « transport » s’est peu à peu estompé pour faire place à celui de « mobilité ».  En réalité, la pression accrue sur le réseau de transport en commun, l’augmentation exponentielle des problématiques de pollution et de congestion ainsi que l’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication ont permis l’apparition « du nouveau paradigme de la mobilité » (Amar 2010).  En soit, cela implique que la problématique du transport, auparavant limiter au parcours d’une certaine distance avec une vitesse plus ou moins grande, est maintenant enrichi et redéfini dans la notion de mobilité :


« Le paradigme classique du transport est centré sur l’efficacité, la fiabilité et la sécurité de la gestion des flux, conçus comme flux de particules-voyageurs relativement uniformes et passives. Le nouveau paradigme, celui de “la mobilité pour tous et chacun sa mobilité”, y introduit l’individu, la personne mobile, multimodale et communicante, coconceptrice et coproductrice de sa propre mobilité ». (Amar 2010) 


De fait, l’idée de mobilité implique une perception nouvelle de l’attente, mais aussi des lieux de transit tel que les stations de métro ou les gares.  Ceux-ci sont dorénavant perçus comme des points focaux de la ville, ces « hubs de mobilité » permettent d’établir une liaison entre les divers modes de transport (trains, bus, métros, vélos, automobiles, etc.) et répond mieux aux réalités actuelles des citadins.  Ces hubs permettent aussi d’introduire en un même lieu divers services, commerces ou facilités, limitant ainsi, les déplacements utilitaires. (Kaplan et Marzloff, 2008)


Tout comme Kaplan et Marzloff, Hale relève l’importance de l’intermodalité des transports en commun.  Pour lui, il est nécessaire de reconnaître la différence des divers moyens de transport et de les jouxter, non pas comme des alternatives en compétition, comme observé en Amérique du Nord, mais plutôt en complémentarité, tel que démontré en Europe. 


Par exemple, la communauté urbaine de Lyon en France a instauré un réseau de transport en commun intermodal et multimodal qui regroupe quatre lignes de métro, cinq lignes de tramway, trois lignes de trolleybus, 97 lignes de bus et qui encourage, par ailleurs, la marche et le vélo.  Les principes d’organisation qui régissent l’agglomération s’appuient sur une hiérarchie tripartite des voies de circulation; soit un niveau de services express, un niveau de services intermédiaire et un niveau de proximité.  De plus, l’organisation même du réseau multimodale s’intègre aux particularités du centre de la ville, mais aussi sur à celles du territoire de la première et de la deuxième couronne.  Ces couronnes sont caractérisées par une faible densité de bâti et une multiplicité des origines de déplacement de même qu’un faible volume global.  Enfin d’optimiser et de rentabiliser son réseau de transports en commun, la ville de Lyon, a choisi de desservir les couronnes en deux temps.  En premier lieu, le réseau routier « express » permet une offre de services de transport varié entre le centre et ses couronnes.  Ensuite, en amont, une offre de transport en commun multimodal permet d’assurer la liaison entre le pôle majeur, soit le centre de l’agglomération et les divers bassins de vie, mais aussi, entre les divers bassins de vie des couronnes.  L’intermodalité est utile pour assurer la correspondance entre le point d’origine du déplacement vers le plus proche point s’accès au réseau « express ».  La connexion est réalisée à pied, à vélo, en transport en commun et encore, en voiture jusqu’à une station relais.  (Grand Lyon; communauté urbaine, 2010) (voir fig.1) Cet exemple démontre bien la pertinence et l’intérêt d’une gestion intermodale et multimodale des transports en commun dans le cadre d’une agglomération dont la densité variable selon les secteurs.  Plus encore, l’exemple de Lyon permet de comprendre que la véritable innovation en matière de mobilité, ne réside pas tellement dans la recherche de nouvelles options que d’en la capacité de créer des relations habiles entre les alternatives actuelles.


En ce qui a trait aux nouvelles approches en matière de planification urbaine, le travail d’analyse devra tenir compte de deux échelles; l’échelle locale et l’échelle régionale et ce, afin de bien cerner tous les enjeux et problématiques inhérentes aux réseaux de transports en commun.  Pour Hale, le travail à des échelles différentes est incontournable :


« This combination of distinction and working integration between scales may appear at first slightly counter-intuitive, but it is an intellectual and functional ‘step forward’ that must be carried through in analysis tools, projects, and ultimately in the attainment of better transport outcomes at different spatial scales over time. »(Hale, 2011). 


En fait, l’échelle régionale ne doit pas être négligée, au contraire, elle doit être le point de départ de la réflexion qui mènera aux nouvelles orientations du réseau de transports.  Au demeurant, l’échelle locale et l’échelle régionale, doivent être traitées de manière distincte, mais toujours en assurant l’arrimage des informations obtenues lors de l’analyse des ces deux échelles.  Par ailleurs, les changements ou l’innovation du réseau de transport sont dorénavant tributaires de la capacité des designers urbains à revisiter de manière constante l’ensemble du système.  De fait, tout changement peut influer sur l’ensemble du réseau de transport;


« … dès qu’un nouveau mode apparaît, il ne se contente pas de prendre une part de marché, ni même de l’augmenter : il induit le plus souvent une reconfiguration plus ou moins profonde de l’ensemble du système de mobilité. » (Amar, 2010)


Bref, l’évolution constante de la mobilité urbaine implique le développement d’outils d’analyse précis afin de faire un choix éclairé parmi les nombreuses alternatives et combinaisons possibles pour un même secteur de la ville.  Les designers urbains doivent faire preuve de discernement et d’une capacité d’adaptation afin de sélectionner les outils d’analyse adéquats dans le cadre complexe du travail impliquant différentes échelles.  En effet, bien que certains outils d’analyse soient identiques, et ce, invariablement de l’échelle de travail, certains outils sont, quant à eux, spécifiques et définis pour une échelle particulière. 


Du reste, les indicateurs de performance sont de plus en plus réintroduits, car ils permettent de bien cerner les tendances actuelles et futures et par conséquent, d’affiner la compréhension et la réponse apportée à une problématique donnée.  Les indicateurs qui indiquent la performance en termes de vitesse et de capacité sont importants, mais ils ont été délaissés progressivement au profit des indicateurs de coût du projet et du système.  Cette tendance peut s’avérer pernicieuse puisque la performance économique ne doit pas se faire au détriment de la qualité du projet.  Par conséquent, l’indice de performance de coût devrait être envisagé seul, mais dans une optique de coûts versus bénéfices pour le projet :


« Public transport choices must be elevated above the level of ‘lowest cost option’ and into the realm of strategic interventions with strong positive impacts on transport system performance and hence on economic, social and environmental outcomes plus the overall ‘functionality’ of cities. » (Hale, 2011) 


En conclusion, les changements climatiques, la congestion, la hausse du prix des hydrocarbures et l’accroissement constant de la mobilité individuel, font en sorte que la mobilité durable est un enjeu prioritaire dans le développement des métropoles.  Ainsi, les actions proposées doivent non seulement contribuer au développement d’un système de transport en commun performant, mais aussi, engendrer des répercussions positives au niveau environnemental, social et économique pour la ville.  Par ailleurs, la mobilité urbaine à privilégier est celle, créatrice de liens et de synergies.  C’est aussi une mobilité qui revalorise les « mobilités de proximités » habilement articuler à travers les diverses échelles et options de transports.  La mobilité dite durable doit être en mesure d’optimiser les outils existants afin d’enrichir significativement le réseau de transport déjà en place.  Pour Amar, la valeur de la mobilité n’est « rien d’autre que sa capacité à renouveler les liens que nous entretenons les uns avec les autres, avec nous-mêmes, et avec la terre qui nous porte.»

Fig. 1(Source: Grand Lyon, Communauté urbaine (2010) Stratégie multimodale des déplacements de l'agglomération lyonnaise. L'anneau des sciences.)

Références

_ Grand Lyon, Communauté urbaine (2010) Stratégie multimodale des déplacements de l'agglomération lyonnaise. L'anneau des sciences.

_ Hale, Chris A. (2011) New approaches to strategic urban transport assessment. Australian Planner, Vol. 48, No. 3, September 2011, 173-182.

_ Harcourt, Michael (1999) Embracing change In cities. Australian planner: journal of the Royal Australian Planning Institute, 1999, v.36, n.2, p.79-82.​

_ Kaplan, Daniel et Marzloff, Bruno (2008) Pour une mobilité plus libre et plus durable. Éditions FYP.


 


 


 

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