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Mémoires Collectives 

Influences de l’histoire et des paysages de la région de Thetford sur la conception d’un parcours urbain

par Marie-Christine Daigle-Croteau

Références



. DEWARRAT, Jean-Pierre et al. (2003) Paysages ordinaires, de la protection au projet. Sprimont : Pierre Mardaga


. HALBWACHS, Maurice (1950) La Mémoire Collective. Paris : Presses Universitaires de France


. HAYDEN, Dolores (1995) The power of place : Urban Landscape as public history. Cambridge, Ma. : MIT Press.


. RIVARD, Erick (2008) Approfondir l’analyse objective du territoire par une lecture subjective du paysage : le cas de la Côte de Beaupré, Mémoire de maitrise en architecture. Québec : Université Laval



Articles scientifiques:
. BÉLANGER, Anouk (2002) « Urban space and collective memory; analysing the various dimensions of the production of memory », Canadian Journal of Urban Research, 11 (1) : 69-92.


. NOPPEN, Luc et Lucie K. Morisset  (1995) « Édifier une mémoire de lieux en recyclant l'histoire. Usages et fonctions du passé dans l'architecture actuelle »,  La mémoire dans la culture, Presses de l’Université Laval : 203-233.

 


Informations et images promenade Samuel-de-Champlain :


. La promenade Samuel-de-Champlain – Commission de la capitale nationale, [En ligne] http://www.capitale.gouv.qc.ca/realisations
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promenade-samuel-champlain/ Consulté le 23 novembre 2012

 

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       Le concept de « mémoire collective » se base sur le temps et l’espace afin de donner une signification aux souvenirs d’un lieu, qui sont d’ailleurs propre à chaque collectivité. Ce concept permet de rétablir certains lieux et de leur redonner un caractère identitaire, en plus de les rendre attrayant et instructif pour la communauté. Dans le cadre de mon essai (projet) de fin d’études en architecture, le projet envisagé vise le rappel de mémoires collectives dans un cadre spatial précis. Le projet vise la création parc urbain reliant certains pôles importants de l’histoire minière et la restauration du chevalement existant situé au centre-ville de Thetford Mines. Ce dernier vise la  redécouverte de la richesse du patrimoine minier construit, la conservation de la mémoire collective et de l’identité locale à travers les résonnances industrielles du passé de la région.  Ce parcours, en plus de permettre la perméabilité et la continuité de sites présentement enclavés, mettra en relation différents éléments disparates afin de bonifier la perception des gens envers les paysages humanisés de cette région. Les lieux de passage existant deviendront, par le fait même, des espaces de destination et d’observation sensationnels dédiés à l’importance des rapports personnes / milieu.

       

 

 

       Â« Il n'est donc pas exact que pour se souvenir il faille se transporter en pensée hors de l'espace, puisque au contraire c'est l'image seule de l'espace qui, en raison de sa stabilité, nous donne l'illusion de ne point changer à travers le temps et de retrouver le passé dans le présent ; mais c'est bien ainsi qu'on peut définir la mémoire ; et l'espace seul est assez stable pour pouvoir durer sans vieillir ni perdre aucune de ses parties. »

(Halbwachs, 1950 : 105)

 
 

 

 

 

       Dans le cadre de cet essai en Design Urbain, je m’intéresse à la façon dont l’histoire et les paysages de la région de Thetford peuvent influencer la conception d’un parcours urbain révélateur des mémoires collectives et des richesses expérientielles du lieu.

 

 
 

 

 


Le terme « mémoire collective » utilisé pour la première fois par Maurice Halbwachs fait référence à un ensemble de faits qui ont eu lieu dans le passé et qui structurent l’identité d’une collectivité.  Ces faits peuvent relever de souvenirs ou d’expériences qui sont partagés et transmis à la société moderne. Pour Halbwachs, la reconstruction des souvenirs et des mémoires passe d’abord par le cadre spatial. En effet, il permet la constitution d’un cadre vivant et naturel, sur lequel s’appuie les pensées et les mémoires pour retrouver l’image du passé, permettant ainsi de distinguer l’histoire vécue de celle écrite. (Halbwachs, 1950)

crédits photos: Mathieu Grégoire

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Préservation de l’architecture :
Finalement, le dernier des ces trois enjeux principaux qui animent pour les mémoires collectives du paysage est l’architecture. Bien que les paysages soient remplis d’histoire et de culture, selon Hayden, la réutilisation de bâtiments historiques active l’imaginaire des visiteurs et amène une meilleure intégrité des mémoires locales. Les bâtiments vernaculaires existants, qui sont propre à une communauté, permettent de lier le dialogue historique entre les mémoires sociales et l’architecture. (Hayden, 1995) L’architecture offre une présence visuelle très concrète et identifie quelques repères importants dans une société, qui peuvent servir de symbole. Dans son article, Bélanger démontre par l’exemple de l’ancien Forum de Montréal, l’importance d’attache d’une communauté envers le contexte. Selon celle-ci, les concepteurs doivent faire écho adéquatement, afin de démontrer aux gens que l’histoire fait partie intégrante du projet, malgré la disparition de certains éléments.

Quelque soit l’usage qui requalifie le bâtiment, le sens de l’espace permet aux visiteurs de s’ancrer dans le projet culturel. (Bélanger, 2002) Plusieurs traces architecturales, tel que la matérialité et les formes permettent de réaffirmer les mémoires et de reconstruire certaines histoires qui forgent le fort caractère d’une société. La sauvegarde des bâtiments importants permet de conserver de nombreuses significations sociales locales. Dans le cas des éléments moins fondés, il faut savoir réinterpréter adéquatement l’architecture et les traces sociales dans le meilleur respect de la communauté. L’usage auquel le bâtiment est destiné permet souvent de passer un message via un projet architectural. L’objectif est de trouver un moyen pour simultanément engager la préservation de l’architecture et l’histoire sociale, afin de supporter adéquatement les mémoires sociales.

 

 

 

 

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Histoire du paysage urbain
       D’abord, dans une optique de création d’espaces identitaires créateurs de mémoires collectives, il apparaît important de comprendre la relation de réciprocité qui affecte le passé et le présent. Les paysages humanisés construits par l’homme, comme ceux de la région de Thetford qualifient le paysage bâti. L’industrialisation amplifie l’émergence de la culture humaine au sein de ces paysages et leurs confères un caractère identitaire unique.



 
 

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 vers 1960 _ crédits photos: SAHRA

 

2012 _ crédits photos: MC Croteau

 

 

Du passé au présent
    Le passé alimente sans doute le présent par les différents souvenirs et expériences antérieures qui se logent dans les mémoires remplies de faits et parfois de mythes. Ces mémoires renferment des visions personnelles, émotionnelles mais aussi visuelles et corporelles. (Hayden, 1995) Les espaces identitaires connectent les paysages avec leurs histoires dans le présent, mais servent aussi de liaison entre les raconteurs, soit ceux qui ont connu le passé et les spectateurs, soit ceux qui veulent connaître et comprendre les influences sur le présent. L’évolution de l’activité industrielle est significative dans les mémoires collectives d’une région comme celle de Thetford Mines. Il incombe, dans la création d’un projet de mise en valeur et d’identité, de travailler en étroite collaboration avec les différents acteurs du passé, afin de conserver la cohérence et la lisibilité des lieux.


Le présent en fonction passé
       De plus, le dialogue historique se veut une façon de ramener l’histoire dans un aspect social et public et ainsi de le partager au sein de la société et de le transmettre. Comme le mentionne l’architecte Mario Botta, « the old needs the new in order to be recognizable » (Noppen, 1995 : 208) Il est cependant considérable de concevoir les impacts des transformations présentes sur le cadre historique. Afin de rendre la perception agréable, il importe de créer un lieu sensible qui se remplit de signification, et qui respecte l’esprit du lieu. (Rivard, 2008) Les résonnances du passé sur le présent ne sont pas toutes positives, cependant il importe souvent de miser sur le caractère identitaire et souvent idéologique que les communautés tirent de leur milieu. (Hayden, 1995) L’importance se dévoile surtout dans la qualité de médiation qui existe dans le rapport de l’homme avec le paysage. La mémoire est généralement davantage transigée dans l’idéologie, lorsque l’espace et le temps sont fabriqués tel un produit culturel, et forme un discours nostalgique des aires patrimoniales rénovées. (Bélanger, 2002) Dans un projet de design urbain ou d’architecture contemporain, l’objectif est de rappeler les mémoires collectives positives qui affectent le caractère identitaire d’une société. Les intentions de conception doivent être le reflet de la société en question et laisser place à l’imaginaire des gens qui habiteront le lieu.



 



 

Plusieurs auteurs traitent de l’importance de la mémoire et de l’identité collective au coeur des espaces urbains. Suite à certaines lectures, j’en retiens que la conception d’un parcours urbain, au sein de paysages remplis de mémoires culturelles se veut tout de même stratégique, afin de faire fluctuer adéquatement les mémoires collectives. Plusieurs enjeux affectent la planification d’un tel parcours dans un concept de mémoires collectives. À la lecture de l’ouvrage The power of place : Urban Landscape as public history, rédigé par Dolores Hayden, trois enjeux principaux ressortent pour les mémoires collectives du paysage urbain. Premièrement, la compréhension de l’histoire urbaine qui transige la relation de réciprocité entre le passé et le présent. Puis, les causes et effets de la préservation des paysages extraordinaires et même ordinaires; et finalement la préservation de l’architecture qui nourrit les parcours urbains dans la ville. Finalement, les différents espaces de la promenade Samuel-de-Champlain s’avèrent d’excellents exemples de transpositions historiques dans des espaces contemporains de hautes qualités, pour appuyer les enjeux présentés.

 

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La transposition contemporaine du paysage met en scène le lieu et son histoire, par exemple dans le cas de la promenade Samuel-de-Champlain les vestiges sont devenus des acteurs de mémoires à découvrir. Le concept d’aménagement de la promenade s’inspire à la fois : de la morphologie du lieu ; de son interaction avec le fleuve ; et de l’occupation de ce territoire au fil du temps. Des interventions dans le paysage, tel que les quais, servent à la contemplation et ajoutent à la fonctionnalité du lieu, mais surtout à sa signification. Les concepteurs de cette bande riveraine ont grandement misés sur des échanges multidisciplinaires afin de mieux définir et transposer l’histoire culturelle particulière des paysages en bordure du fleuve Saint-Laurent. Par exemple, le « Quai-des-Hommes »  se déploie  en un long trottoir de bois et évoque le souvenir de l’époque des chantiers maritimes de l’Anse-de-Sillery. Il souligne également le lien profond qui unit l’homme et le fleuve, en plus de rendre hommage au labeur de l’homme sur le littoral. La transposition contemporaine est entre autres composée de deux murs de béton photogravés, rappelant des paysages du 19e siècle, complétée par un intéressant jeu d’ombre et de lumière.



Quai-des-Hommes

_ crédits photos: Commission  de la capitale nationale

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Paysages culturels​​​​

    De plus, afin de nourrir les mémoires collectives d’une région, l’analyse des paysages d’une région est à prendre en considération. Ils affectent plusieurs possibilités et révèlent de nombreuses causes sociales, relatives à la culture et à l’histoire. En général, ils sont perçus selon une réalité davantage objective ou subjective. La première, soutient une analyse tel un objet qui doit être décrit de manière indépendante aux regards qu’on lui porte. Dans le deuxième cas, ils sont plutôt le reflet des réalités territoriales d’une région, et ils existent dans la conscience des personnes selon les représentations et les interventions qui y sont réalisés. (Dewarrat, 2003)  Dans le cas de Thetford Mines, les paysages humanisés ont plutôt une dominance subjective, puisqu’ils établissent une forte relation entre l’homme et la nature depuis plus d’un siècle. Ces paysages lunaires sont le reflet autant culturel, social et économique de la société qui y prend attache.

Aussi, la perception des paysages autant ordinaires qu’extraordinaires est influencée par divers facteurs. Parmi eux, notons l’identité et les préférences qualitatives d’un lieu de chacun ou d’un groupe d’individus. De plus, l’esprit du lieu collabore grandement à la perception agréable et à l’appréciation des paysages, qui se traduit par une approche sensible remplie de significations. L’approche subjective abordée par Erick Rivard dans son analyse de paysages ordinaires de la Côte de Beaupré identifie les connotations symboliques des lieux ainsi que la reconnaissance de valeurs qui s’y attachent.  Les valeurs les plus significatives qui affectent la perception d’un territoire sont celles liées à l’héritage culturel, à l’affection du milieu et aux pratiques passées. (Rivard, 2008) Ces valeurs contribuent à l’esprit du lieu et à l’identité auxquelles prend attache les mémoires collectives. Le discours poétique est aussi important dans le dialogue identitaire avec les paysages, qu’ils soient ordinaires ou extraordinaires, apaisants ou encore bouleversants. (Dewarrat, 2003) Les paysages ordinaires souffrent souvent de déficits de représentation, puisque leurs reconnaissances se basent sur la constitution d’un regard, il faut savoir les reconnaître pour ainsi les représenter adéquatement. La perception d’un paysage affecte l’intérêt et la mémoire qu’on lui porte, elle se base sur un point de vue, mais réfère à de nombreux facteurs. Les paysages affectent le caractère identitaire, mais sont aussi victime de leur représentation sociale, il importe de reconnaitre les détails qui caractérisent un lieu.

 

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     Dans le cas de la promenade Samuel-de-Champlain, tout au long des 2,5 kilomètres de parcours de la phase 1, différentes interprétations sont faites d’éléments qui ont marqués l’histoire du site. Par exemple, le Quai-des-Vents, situé à l’extrémité célèbre le vent, élément ubiquitaire aux abords du fleuve. La représentation contemporaine se fait par de longues graminées qui s’ondulent sous la brise naturelle du vent et l’insertion de sable qui rappel les baignades estivales avant les années 60.  Finalement, de grandes structures blanches sinueuses ornent le ciel, faisant écho aux envols des oies blanches migrant vers le sud. La simplicité des éléments qui caractérise l’interprétation du site reflète les souvenirs du passé, lui donnant une signification et  favorisant la contemplation des paysages.

 
 

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Quai-des-Vents

_ crédits photos: Commission  de la capitale nationale

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       Dans le cas de la promenade Samuel-de-Champlain, le pavillon d’interprétation dédié « aux cageux » est une réhabilitation d’un ancien quai industriel sur lequel s’ancre de nouveaux bâtiments. (voir Fig. 3) Les bâtiments aux lignes contemporaines s’inspirent des chantiers navals du 19e siècle, et privilégie le bois, en réponse au transport du bois par flottaison. Une tour de 20 mètres se dresse au bout du quai des Cageux, l’intégration d’une structure blanche et de lumière la rend visible de loin, tel le signal d’un phare sur le fleuve. Les différents espaces servent autant à l’interprétation, par la mise en place de panneaux expliquant le laborieux métier de cageux de l’époque, qu’à la mise en valeur du site, par la contemplation et une utilisation selon différentes saisons et activités.







 

 

 
 

 

 

 

Dans le cadre de la conception d’un projet culturel historique comme pour Thetford Mines, quelques bâtiments existants doivent être ciblés, afin de protéger le cadre social architectural. L’élaboration d’un projet qui permet l’apprentissage et qui inclut la communauté est à valoriser, pour favoriser la perception identitaire d’une communauté. Il importe de miser sur une écoute active envers les citoyens, afin de les inclure dans le processus décisionnel entourant la conception d’un projet identitaire. Aussi, Hayden propose d’incorporer de l’art public, qui se définit comme accessible au public mais aussi adapté aux évènements, aux dimensions physiques et au caractère socioéconomique. Finalement,  le travail en collaboration avec des artistes rend le projet moins concret et apporte un regard différent sur les mêmes paysages historiques.  (Hayden, 1995)

 

Conclusion
Pour conclure, l’histoire publique, l’analyse des paysages,  la préservation architecturale et l’art public peuvent tenir un rôle évocateur pour définir les mémoires collectives d’une communauté. Le complément, par un fort processus communautaire fondé sur le contexte de la mémoire sociale, anime les discussions et renforcie le projet. Différents auteurs mettent l’emphase sur un processus décisionnel qui doit se faire avec les résidents, mais aussi de manière interdisciplinaire, afin de favoriser les échanges historiques, culturels et sociaux. Le projet de la promenade Samuel-de-Champlain est un bon exemple qui définit des parcours qui mettent en valeur le site et amène à la contemplation. L’intégration de moments dans le paysage permet de rappeler divers faits et d’activer les mémoires sociales. Les espaces de la promenade sont riches de sens autant au point de vue historique, qu’au point de vue social. Les différents parcours et le mobilier urbain sont disposés afin de mettre en valeur le paysage et de favoriser la contemplation de celui-ci.
Dans le cadre de mon essai (projet), je m’intéresserai à une analyse davantage subjective des paysages miniers dans la redéfinition des mémoires collectives de la région de Thetford. Le projet de parcours urbain à travers les sites miniers, définira des moments propices aux activités en toutes saisons et d’autres espaces misant davantage sur le caractère historique et la contemplation.  





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  « L’architecture de paysage traduit notre conception de la nature et de la culture, ainsi que notre engagement à en assurer la pérennité».
 

[Philippe Poulloaouec-Gonidec et Peter Jacobs, architectes]

 
 

 

 

Quai-des-Vents

_ crédits photos: Commission  de la capitale nationale

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crédits photos: Dany Jacques

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